Asie
Peuples du Monde : Alisi le gardien de trésors
Au début des années 70, l'Indonésie ne connaît pas le tourisme de masse. Bali est encore un bout de terre paradisiaque qui commence à s'ouvrir sur le monde. Le reste de l'archipel, plus de 900 îles de part et d'autre de l'équateur, constitue, notamment dans sa partie est, le dernier territoire quasi inexploré, pour certains, l'ultime zone à découvrir du globe...
TOUT DÉMARRE EN 1973
A l'est de la ligne Wallace, à la jonction des plaques asiatiques et australiennes, un petit chapelet d'îles ouvre les portes d'un univers inconnu, attirant toutes les convoitises. Alisi, jeune indonésien de 10 ans, vit avec ses parents, frères et sœurs sur la petite île d'Ambon, chef-lieu de l'archipel des Moluques. C'est une île montagneuse couverte de jungle qui fourmille d'insectes rares ; et le jeune Alisi est un expert dans l'art de trouver, au cœur de la forêt luxuriante, toutes sortes de petites bêtes. Alors qu'il vient de mettre la main sur un grand longicorne, il croise, au détour d'un sentier, un jeune homme au visage clair et aux yeux bridés. Ce jour-là, sa rencontre avec le Japonais Hiromi Detani, de 15 ans son aîné, va changer sa vie...
Le Japonais est déjà un grand chasseur d'insectes, reconnu par ses pairs comme l'un des meilleurs de sa génération. Il a fait de l'Indonésie sa cible prioritaire pour l'exploration de contrées sauvages et souvent inexplorées en matière entomologique. Pendant des années, aidé par de nombreux contacts locaux qu'il forme lui-même, il constitue un réseau de collecteurs d'insectes qui vont travailler toute leur vie pour ce Japonais qui leur propose une ascension sociale incroyable. Detani multiplie les va-et-vient depuis Tokyo mais le temps passé sur les îles Moluques et notamment sur Ambon est insuffisant pour envisager une collecte d'insectes sur toutes les saisons de l'année. C'est alors qu'il propose au jeune Alisi de "travailler" en quelque sorte pour lui, en exclusivité. La manne tombée du ciel devient, au fil des années un vrai trésor pour le jeune adolescent issu d'une famille modeste. Detani lui achète tout ce qu'il récolte et cela à longueur d'année. Un vrai lien affectif va s'installer entre eux.
Durant les années 80, un concept ambitieux et novateur en matière de protection de certaines espèces de papillons voit le jour. Il s'agit du "Farming". A l'Est de la ligne Wallace, de l'archipel des Moluques jusqu'aux îles Salomon, en passant par la Nouvelle Guinée, vivent les onze espèces de papillons géants qui peuplent notre planète. Ces espèces appelées "Ornithoptères" (birdwing butterflies ou papillons aux ailes d'oiseaux) vivent au cœur des forêts tropicales. Ce sont des papillons directement issus de l'ère tertiaire, il y a 100 millions d'années, quand les premiers papillons sont apparus sur terre. Ce sont des sortes de reliques ayant peu évolué. Victimes d'un braconnage intensif, de la déforestation galopante dans certaines régions, de l'implantation de palmiers à huile répondant à une demande mondiale exponentielle de ses produits dérivés, beaucoup d'espèces de papillons géants ont vu leur population en danger dès la fin des années 70. Dans les vallées refuges où volent naturellement les papillons géants et en présence des indigènes vivant sur les mêmes terres, le WWF a proposé aux villageois de remplacer l'argent gagné grâce à la vente du bois coupé responsable d'une forte déforestation dans ces secteurs par la vente de chrysalides de papillons géants ! Le concept est le suivant : "Tuons les papillons pour sauver la forêt". Ces papillons géants ont des chenilles qui se nourrissent d'une seule sorte de liane qui s'accroche aux arbres pour grimper jusqu'à la canopée. Il s'agit de différentes espèces d'Aristoloches. Dans l'habitat originel des papillons géants, les villageois ont planté en forêt des milliers de pieds de ce type de liane. Naturellement, les populations de papillons géants sont remontées en nombre et la récolte du surplus de chrysalides a permis aux villageois d'alimenter, pour les collectionneurs, un marché mondial en forte augmentation. Les imagos en parfait état éclosent dans les cases des villageois producteurs et sont vendus à l'exportation sous un contrôle strict des états où volent les papillons géants. Chez Alisi, la pièce la plus humide de la maison est une cellule insalubre, sombre, aux odeurs d'égout. C'est, sur un fil tendu du plafond de ces toilettes à la turque que plusieurs dizaines de chrysalides du papillon Croesus attendent de libérer leur trésor volant ! C'est ainsi que la forêt devenant source de revenu renouvelable a vu ses arbres protégés... !
Découvrez la suite de cette fabuleuse histoire dans le n°23 d'HORIZONS MONDE !